Monsieur Maalouf,
Nous sommes le samedi 23 Mai 2009 et cette après-midi, j'ai assisté, dans la cadre de "La Comédie du Livre" (Montpellier) à l'entretien que vous avez eu avec Philippe Lapousterle. Je vous remercie profondément et chaleureusement pour vos propos humanistes tant au sujet de l"Identité" que des thèmes abordés dans votre dernière oeuvre : "Le dérèglement du monde".
Vous m'avez d'autant plus touché que l'année dernière, au début du mois de mai, j'étais à Beyrouth où ma fille, mariée à un jeune journaliste libanais, venait d'avoir son premier bébé. Deux jours après notre arrivée, le Hezbollah a laché ses sympathisants dans les rues - impossible de sortir pendant 3 jours - bercés par les tirs de AK 47, de mitrailleuses et de lance roquettes. Nous avons pu nous réfugier à Tripoli où la folie nous avait déjà précédé. C'était, ma femme et moi, notre deuxième visite au pays du Cèdre et avant cet épisode, nous commencions à entrevoir ceertains signes - chez les jeunes - de ce qui nous semblait être un sentiment d'appartenance à une nation, une aspiration à une solide démocratie... Las, les quelques conversations que j'ai pu avoir, avec des miliciens, des sunnites, des chrétiens, une famille Druze et autres m'ont fait comprendre qu'au moindre prétexte, des haines sanguinaires étaient prêtes à exploser sans retenue.
Sami, mon gendre, a décrété au bout e 3 à 4 jours : "Je refuse que mon fils vive les violences auxquelles j'ai assisté depuis ma naissance : nous quittons le pays."
Trois mois plus tard, le 5 Août, ma fille, mon gendre et mon petit-fils étaient à la maison (près de Montpellier)... sans ressources, sans travail, mais en sécurité.
Au bout de dix mois, le bilan n'est guère brillant : Sami n'a pas pu trouver de travail dans le journalisme (malgré des contacts à Monpellier et une expérience peu concluante à "Radio Orient"), il cherche toujours dans ce domaine ou dans la traduction. Ils sont partis s'installer à Marseille, nous sommes aussi discrets que possible, mais attentifs à ce qu'ils ne manquent de rien ; le petit Rémi (fils de Sami et de Delphine) se porte comme un charme. Je forme pour lui le voeu que, comme vous, il bénéficie de multiples identités, que son univers soit libéré des bornes et qu'il développe un goût essentiel pour l'égalité, la tolérance et la liberté et qu'il puisse un jour retrouver chez ses contemporains cette part d'Humanité qui nous fait tant défaut depuis quelques décennies. J'y veillerai.
Je vous prie de m'excuser, monsieur Maalouf, pour vous avoir fait perdre votre temps, mais aujourd'hui, je me suis senti très proche de vous, je désirais vous faire part de toute mon admiration.
Merci pour votre patience
Emile Gros
* petite anecdote, je viens de me rappeler que je lisais "Origines" au début mais 2008, au son des Kalachnikofs, bloqué dans mon hôtel dans Hamra. (J'avais par ailleurs lu bon nombre de vos ouvrages.)